Entretiens
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"COMME LE TEMPS PASSE..."
Ce sont quatre dames aux cheveux blancs à qui nous avons posé la même question, toute simple : « qu’est-ce qui a changé, pour vous, depuis l’époque de votre jeunesse ? Elles ont, très gentiment, accepté d’égrener pour nous leurs souvenirs…
PAULETTE
Serait-ce exagéré de dire que Paulette a eu, toute sa vie, la passion du commerce ? En tout cas, c’est la colonne vertébrale de sa mémoire, au cours de notre conversation. Il faut dire qu’elle a « de qui tenir » : son arrière grand-père, Charles, né en 1848, était un épicier ambulant qui allait de ferme en ferme avec sa charrette tirée par un cheval pour proposer des articles « de première nécessité » : le sel, le sucre, le savon…
Puis c’est son grand-père, un autre Charles, né en 1875, qui fait construire le magasin, une des épiceries de Barlieu. Parallèlement, il développe une activité de tailleur dans l’arrière-boutique alors que la grand-mère gère l’épicerie toute seule, avec ses deux enfants en bas âge. Là encore, l’offre reste relativement succincte : elle vend beaucoup de légumes secs, de pâtes, de l’huile, des harengs saurs dans leur tonneau …
Après la guerre, Charles abandonne le métier de tailleur pour pouvoir diversifier l’offre du magasin. En 1950, Paulette a quatorze ans. Juste après avoir obtenu son Certificat d’Etudes, elle commence à aider ses parents dans le magasin puis en devient progressivement responsable. Ce n’est qu’en 1982 qu’elle reprend l’affaire à son compte jusqu’en 2006 où elle prend, à soixante-dix ans, une retraite bien méritée et sans regret aucun.
Revenant sur notre question de départ, elle évoque tous les changements dans sa pratique quotidienne : « le vrac, on l’a vu disparaître… tout se vendait au détail, aussi bien le sel que l’huile, le vin, les gâteaux secs. Ça, ça se vendait aussi au poids, il n’y avait pas de paquets tout faits. Les bonbons, ça se vendait au détail… ».
Un peu inattendus, dans l’épicerie de Paulette, quelques jouets, mais plus encore des articles funéraires : les pots pour les fleurs, les plaques du souvenir et même les lettres mobiles pour composer les messages des couronnes mortuaires !
« La pompe à essence, ça remonte à loin, 1935, je crois. C’était la marque Azur. Mon grand-père remplissait des bidons de cinq litres avec un volucompteur à levier ».
« Et pour ce qui est de la vie courante… la voiture, par exemple ?»
« Nous, on a toujours eu une voiture, celle de Claude quand on s’est mariés. Le frigo, c’était celui de l’épicerie, une vitrine réfrigérée, celle qui sert maintenant. Une salle de bains ? En 1970, notre fille a fait un échange avec une jeune fille anglaise et donc c’est Claude qui s’y est collé pour la construire. La télé, c’est mon père qui l’avait construite à partir de pièces détachées, je devais avoir quatorze ans… je me rappelle du président Coty et du couronnement de la reine d’Angleterre. Le téléphone, on a été les deuxièmes à l’avoir. Le premier, c’était Planson, le boucher. C’étaient des numéros à trois chiffres qu’on demandait à l’opératrice. Souvent, on venait téléphoner chez nous pour demander le 515 à Gien. C’était l’inséminateur ! ».
« Alors, qu’est-ce qui a changé depuis les années 50, pour les femmes ? »
« Une femme achète bien plus, maintenant, elle a bien plus de moyens et puis les produits ont changé. Il y a un éventail de choix bien plus grand, beaucoup, beaucoup de choix ! »
« Et c’est bien ? »
« Ça, c’est pas sûr… mais il faut bien vivre avec son temps. Et puis la vie est plus facile, on fait moins d’heures. Et elles sont mieux rémunérées… mais le travail est difficile à trouver ! Avant, tout le monde trouvait du travail. »
Notre seconde interlocutrice s’était prêtée de bonne grâce à notre entretien, mais elle avait toutefois préféré que son prénom n’y figure pas. Nous lui avions posé, pour lancer l’entretien, la même question… voici son point de vue.
« Ce qui a changé ? Tout est différent, maintenant. C’est venu petit à petit, nous, on évolue aussi. Je me rappelle, à la télévision, du mariage de la reine d’Angleterre.
Au début, on n’avait pas de téléphone, mais on a été dans les premiers… c’était un appareil à levier, il était raccordé à Aubigny. Ça devait être chez Paré qu’ils l’avaient eu en premier.
Des changements, bien sûr il y en a eu, des changements, dans la famille, mais pas dans le travail. Mes tantes, ma grand-mère, ma mère tenaient le café Pinson. Il y avait le café Paré, le café Pinson et les autres. Chez Paré, ils faisaient bal, aussi. C’est fini, maintenant, ça n’a pas été repris. Comme Planson, le boucher. Ce qui a surtout changé, c’est la perte des artisans. »
« Pourquoi, à votre avis ? »
« On ne sait pas. Mais ça a bien changé ! »
« En bien ? »
« Certainement pas ! Ça a vidé le pays. Même la Poste a beaucoup changé. Il y avait beaucoup de commerces au village, une graineterie, le café chez Gilberte… on les a perdus petit à petit. Même Vailly a fondu. La grande rue est désertée. A Concressault, c’est pareil. On a même perdu le boulanger, il ne reste plus que l’épicerie. »
« Pour quelle raison, d’après vous ? »
« Ce sont les jeunes qui s’en vont. Ils font des études et après, ils sont obligés de partir pour trouver du travail ! »
« Si on parlait du travail à la maison ? »
« Nous, on a eu tout de suite une machine à laver et tout le confort, on n’a manqué de rien. Mais j’ai connu la lessive au lavoir. »
« Et pour l’eau ? »
« Il y avait l’eau courante, à Barlieu, mais pas chez tout le monde. Certains l’avaient à la maison et les autres, ils allaient à la borne avec des seaux, des arrosoirs. Ça a disparu. Il y avait aussi un puits à côté de l’église et un sur la route en face de la salle des fêtes, mais je ne sais pas si ils existent encore. Les salles de bains, elles étaient rares, comme les toilettes dans la maison. Il y en avait au café, mais il fallait les faire vidanger. Beaucoup les avaient dans le jardin et pour la nuit, il fallait penser à préparer un broc d’eau. »
« Est-ce que vous diriez que c’était mieux dans le temps ? »
« Pour certaines choses, mais tout de même aujourd’hui, il y a plus de bien-être ! »
« Vous vous rappelez de votre première voiture ? »
« Bien sûr ! C’était celle de mon mari. On en a toujours eu une depuis notre mariage, même avant parce que le samedi on allait jusqu’à Aubigny. J’ai aussi connu le train qui déposait le courrier à la gare. Nous, on le prenait pour aller à Argent faire des achats dans une poterie. »
« Et… le mot de la fin ? »
« Ça a été une évolution progressive. »
MARIE-THERESE
Si ses jambes la trahissent parfois, son regard, lui, n’a rien perdu de sa vivacité, ses yeux pétillent, sa mémoire bouillonne de souvenirs. Une parole sans complaisance, mais sans amertume, sur les gens, les choses, le temps, elle-même… Un témoignage émouvant et dense qu’il faut accueillir avec la bienveillance qu’il mérite.
Le point de départ de notre conversation, cette fois encore, était « Qu’est-ce qui a changé pour vous, depuis l’époque de votre jeunesse ? ». Ecoutons-la.
« Comme gamine, les gens, je les voyais près les uns des autres, ils se retrouvaient sur des bancs, à la veillée, au lavoir, à la saboterie… je revois mon père, Aristide qui se réchauffait auprès du poële, ma grand-mère Adèle qui venait souvent à la maison avec son chapelet, avec d’autres dames. Elles prisaient toutes. Elles avaient leur tabatière dans la poche du tablier mais après, quand elles ont arrêté, elles ne se sont pas mises à fumer.
Enfant, j’allais au patronage auprès de Mademoiselle Françoise Belle. Elle organisait des jeux, des promenades, même du théâtre pour les prisonniers, à la salle des fêtes. On avait joué « Ces dames aux chapeaux verts ». Mais, avec les incroyantes, on ne se fréquentait pas !
« Et dans votre vie quotidienne ? »
« Une fois mariée, j’ai habité Bondy. C’est là que j’ai eu ma première machine à laver, en 1950. Une machine électrique. C’était quand même plus pratique ! J’ai acheté mon premier appareil photo en 1949.
Barlieu, c’était toujours très vivant à cette époque-là, mais ça s’est dégradé depuis une dizaine d’années. Avant, il y avait du monde partout. Un café, en face (la maison Pinson), deux boulangers, dont Marcel Bougras, plusieurs épiceries.
L’alimentation aussi a changé. C’était plus naturel, rien n’était traité. Comme viande, on avait les lapins, les canards, parfois un pot-au-feu. On mangeait beaucoup de pommes de terre, de pâtes. Le soir, c’était la soupe et puis des châtaignes, presque tous les soirs, avec de la salade, surtout de la mâche. Une fois par an, on se groupait à quatre familles pour tuer le cochon et on se partageait tout ça. Je me souviens comme ça sentait bon, quand on cuisait le boudin ! Comme boisson, on avait le « cidre debout »… c’étaient des pommes qu’on mettait dans un tonneau avec de l’eau, ça n’était pas alcoolisé et on pouvait rajouter de l’eau au fur et à mesure… Maman mettait à macérer du houblon avec du citron, du sucre pendant trois ou quatre semaines avant de le passer et de le mettre en bouteilles, ça faisait une sorte de limonade.
« Alors, qu’est-ce qui a changé le plus ? »
« Le matériel déjà… on n’avait aucun appareil électrique, juste la poële et on cuisait sur la cuisinière, une cuisinière avec four… et ça faisait des galettes de pommes de terre qui étaient bien bonnes ! Après, on a eu une cuisinière au bois et charbon, on faisait livrer des « boulets » de Vailly… Quand même, la vie est meilleure maintenant, le travail des femmes était autrement dur : quand elles avaient du temps libre, elles partaient avec leurs seaux pour ramasser des cailloux dans les champs et ça servait à empierrer les chemins !
La radio, on ne l’avait pas, la plus près, c’était chez le boulanger… à Barlieu, c’était rare, le premier poste, nous, on l’a eu en 48 et la télé… longtemps après. Quand même, on a entendu de Gaulle en 40 à la radio !
« Et les relations entre les hommes et les femmes ? »
Tout le monde travaillait beaucoup mais pour les femmes, pas de voiture, pas de chéquier ! En ce temps-là, les femmes élevaient les enfants, point. Il y avait beaucoup de familles nombreuses : mon arrière grand-mère a eu vingt-deux enfants, « interlardés », comme on disait ! Un garçon, une fille… Il y même eu une journaliste de Paris qui est venue pour l’interviewer ! Elle est morte jeune. Ma dernière tante est décédée il y a peu, moins de dix ans, sans doute.
Ils s’appellent Lucienne, Michel, Christiane, ils ont depuis longtemps les cheveux blancs et la mémoire pleine de souvenirs du Barlieu d’autrefois. Lorsque nous les avons rencontrés, une première fois, ils ont accepté d’évoquer quelques moments du temps passé. Entre autres, la sinistre période de l’Occupation. Pourtant, ce ne sont pas les privations de liberté, les drames, les humiliations qu’ils ont racontés. Non, ce sont de petits événements qui révèlent qu’en toute situation, la malice garde ses droits. Qu’on en juge …
L’armée allemande, la « glorieuse Wehrmacht », avait installé à Barlieu un détachement qui comptait, peut être, une quinzaine ou une vingtaine d’hommes avec, naturellement, du matériel roulant.
Or, un jour, quelques soldats avaient garé leur « Panzer » devant l’église, en face de l’escalier qui descend jusqu’à la rue (à l’époque) de la Poste. Conducteur débutant ou abus de vin de Sancerre … nul ne sait. Toujours est-il que ledit conducteur, s’emberlificotant dans ses leviers et ses pédales, au lieu de diriger son tank vers la route, entama une superbe marche arrière qui l’engouffra directement à dévaler l’escalier et, de là, au beau milieu de la rue de la Poste ! On imagine le beau raffut que l’opération put produire, mais on peut supposer que les rieurs allèrent discrètement commenter l’événement hors de vue de ces messieurs en vert-de-gris !
L’histoire ne le dit pas, mais il n’est pas interdit d’imaginer que, même dans la « glorieuse Wehrmacht » il y avait aussi une 7ème Compagnie !
Même si on les considérait, globalement, comme « des emmerdeurs » redoutables, on ne se dispensait pas, pour autant, de leur dire leur fait.
Un jour, Lucienne et sa mère, armées de leurs paniers, s’en viennent ramasser des pommes sous un gros arbre situé non loin d’un des cantonnements des Allemands. Mauvaise surprise : la zone est constellée de … souvenirs malodorants. Des petits malins avaient fait disparaître les tinettes que l’occupant avait installées là, à l’abri des regards.
Alors que les deux commères contemplent l’étendue du désastre, un officier arrive, s’exprimant dans un excellent français, qui leur demande ce qu’elles vont faire de ces pommes. La réponse ne tarde pas : « Ah, ben, si vous les aimez comme ça, z’avez qu’à les manger ! »
Demi-tour réglementaire, sans claquement de talons et sans commentaires mais, dès le lendemain, le terrain avait retrouvé sa pureté virginale !
De nos premières conversations, il a émergé beaucoup de choses, impossibles à toutes évoquer ici. La quête n’est pas finie, loin de là et elle sera d’autant plus intéressante que vous serez nombreux à partager vos souvenirs, à nous aider à clarifier, à compléter, à élargir. Si le cœur vous en dit, un coup de fil au 07.62.19.53.66, nous prenons rendez-vous et à vous de jouer !
Sans déflorer le sujet maintenant, il faut tout de même évoquer un point qui nous paraissait extrêmement prometteur, un vrai mystère digne d’Arsène Lupin ou de Fantômas : « le mystère des souterrains » ! Vous en avez entendu parler ? Appelez-nous et l’enquête pourra commencer.
A bientôt, dans le prochain « Echos », si ça vous chante …
J.F & K
Un grand merci à Lucienne, Michel et Christiane qui nous ont si gentiment accueillis.
Françoise a une mémoire vaste et vive, qui pétille de détails et d’anecdotes mais elle porte aussi parfois un regard sans complaisance sur le monde de sa jeunesse à Barlieu, où elle a longtemps vécu.
Qu’est-ce qui a changé, pour vous, depuis votre jeunesse ?
« Ce qui a changé ? Tout a changé. Chez ma grand-mère, par exemple, il n’y avait pas l’eau, pas l’électricité ni le téléphone. On s’éclairait avec une lampe à pétrole, une lampe Pigeon. L’eau, on allait la chercher au puits. C’est mon père qui avait foré une citerne et le puits, avec des cerceaux (de roue de charrette) pour éviter l’écroulement.
« L’électricité, elle est arrivée bien plus tard après. La T.S.F. c’était quand j’avais dix ans ou vers 1936. Il fallait une grande antenne sur le toit. C’était un poste à galène qu’on écoutait avec un casque.
Le téléphone ?
« Le téléphone, on l’a eu vers 68 – 70, c’était déjà l’automatique
« Ce qui a représenté beaucoup de confort, c’est quand mon père a équipé le puits avec une pompe électrique. Aux Bertons, avant, c’était une pompe manuelle avec un grand balancier et il fallait se méfier … un jour, il y en a un qui l’a reçu en pleine figure … il était presque assommé !
« Même les chemins étaient difficiles … parfois presque impraticables, des chemins pierreux, boueux quand il avait beaucoup plu ! Après l’arrêt du chemin de fer, il a fallu prendre un car pour aller à Badineau ou à Vailly. De chez nous, on allait jusqu’à Badineau avec une brouette de linge. Quand j’étais enfant, j’ai même connu Lise Verard qui descendait son lait à Badineau avec une voiture à chien jusqu’au camion qui faisait la collecte.
Et la vie sociale, les gens du village ?
« Le dimanche, j’allais à la messe avec ma grand-mère à Barlieu ou à Vailly. Elle prenait toujours son parapluie pour se protéger du soleil. On arrivait un peu en avance, on faisait un petit arrêt devant l’église, pour voir du monde, apprendre les nouvelles. A près la messe, ma grand-mère allait chez les couturières, les sœurs Mercier
Des grands évènements ?
« Les grands évènements … c’était surtout la Sainte Christine, là, il y avait une grande fête, avec des manèges, une course cycliste. Mais aussi des fêtes religieuses, des processions sur la route de Concressault, des fleurs, beaucoup de fleurs … L’église était pleine, il y avait vraiment beaucoup de monde et chacun avait sa place. A Concressault, chacun avait sa stalle. En hiver, quand il faisait froid, ma grand-mère emportait une chaufferette avec des braises !
« Après la libération, il y a eu beaucoup de bals, comme chez Planson … on dansait avec l’accordéon … c’était très couru ! C’était le tailleur, Maurice Blondeau, qui menait la musique. Nous, les filles, il fallait que ce soient les garçons qui nous invitent.
Et la santé ?
« Ah, on avait des gens très dévoués, comme le docteur Duquet, un ancien médecin militaire… comme ça, il pouvait faire de la petite chirurgie, un hameçon dans le doigt c’était vite retiré, une piqure antitétanique et c’était réglé. Il venait faire les accouchements à domicile. J’ai même aidé, une fois, j’ai préparé de l’eau chaude et puis le bébé, après, on l’a lavé dans le plat à cochons ! Après, petit à petit, les femmes sont allées de plus en plus accoucher à la maternité.
« A la Libération, ça a été mouvementé. Il y avait une fille, aux Bertons, une pauvre fille et son fils qui était un peu simplet avait travaillé pour les Allemands. Quand ils sont partis, il a filé avec eux. Les maquisards les ont arrêtés, la fille a été tondue et le garçon enfermé dans le té à cochons. Moi, je me suis interposée … c’étaient des gars qui essayaient de se dédouaner. A Vailly, le maire a été tué.
Depuis, vous avez vu des changements positifs ou négatifs ?
« Il y a toujours eu beaucoup d’entraide et ça, c’est resté. Mais je me demande pourquoi il y a eu une telle diminution dans la fréquentation de l’église, les gens restent dans leur coin, ils ne se rencontrent plus que pour les mariages et les enterrements. Quand j’étais jeune, il y avait encore un prêtre par paroisse, qui vivait dans une extrême pauvreté. Aux Bertons, on ne pouvait l’aider qu’avec des cadeaux en nature. Ou alors, ils cultivaient leur petit jardin.
« D’une certaine façon, on peut dire que les mentalités se sont dégradées…on a perdu la ferveur. Les gens qui ne trouvaient plus d’emplois ont du partir vers la ville. De moins en moins de prêtres, qui ont essayé de garantir au moins la messe du dimanche. Le Vêpres, elles ont disparu depuis… au moins 1965, à Aubigny. Je me souviens de l’abbé Morin qui desservait Concressault, Barlieu, Dampierre…
« Il y aussi des choses qui ont changé pour les femmes … le « charivari », par exemple. ( ?) Hé bien quand une fille enceinte venait pour se marier, les garçons du village lui faisaient un charivari, un grand tapage. Et il fallait qu’elle entre à l’église par la petite porte alors que le garçon entrait par la grande porte.
A table, les femmes mangeaient souvent à la cuisine et elles servaient la tablée en restant debout.
La vie quotidienne ?
« Souvent, le problème de l’eau … ça n’était pas rare que des familles aient cent ou cent cinquante mètres à faire à chaque fois qu’ils avaient besoin d’eau. Alors, il fallait l’économiser, bien sûr. Pour le linge le plus sale, les couches, par exemple, on commençait à la rivière pour un premier décrassage. Sinon, on allait au lavoir avec le « cabasson », le battoir et le savon. Après, on le faisait bouillir dans la lessiveuse. C’est ce qu’on appelait « la buire ». Les draps, en général, on les lavait deux fois par an. En attendant la grande lessive, on les mettait à sécher dans le grenier, à l’abri des rats ! On ne perdait rien : quand un drap était usé au milieu, on le coupait en deux et on recousait le tout avec les parties usées sur les bords. Après, ça pouvait faire des couches.
« Quand j’étais enfant, je dormais chez mon oncle pendant les jours de batteuse. Lui, il dormait avec un bonnet de nuit. Et comme tous les hommes, il portait une chemise longue pour se mettre au lit, une chemise de nuit. Ma grand-mère, elle, elle portait une sorte de tablier, un pour la semaine, un pour le dimanche. En semaine, ils étaient bleus et le dimanche noirs. Elle avait aussi un bonnet de jour et un bonnet de nuit. Celui-là, il était en satin noir alors que le bonnet de jour, il était en mousseline tuyautée. Si on était riche, on y ajoutait de la broderie … c’était une spécialiste qui faisait le tuyautage. Ca se portait encore jusque dans les années cinquante.
Françoise nous a raconté encore bien des choses, tellement qu’il faudra attendre la prochaine parution pour les lire, tout particulièrement ses souvenirs du « Tacot ».
A.D, B.A, J.F.L
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C’est notre troisième entretien avec Françoise et, une fois encore, elle déploie toutes les ressources de sa solide mémoire. Sur la table basse, elle prend une magnifique photo de mariage où une quarantaine de personnes entourent deux couples de jeunes mariés. Rien ne lui échappe : ce sont deux sœurs, Marthe et Louise Roy qui épousent un monsieur Chavoyon, pour la première et un monsieur Manthe pour la seconde. Pour la date : aucune hésitation :1911.
Puis l’air du temps amène inévitablement la conversation sur les problèmes de santé et là, le personnage marquant qui revient, c’est le docteur Bucquet…
« C’était un personnage exceptionnel, ce docteur Bucquet, un drôle de type mais un fameux médecin… Mon premier souvenir de lui, je devais avoir huit ou neuf ans, je m’étais planté un hameçon dans le doigt. Aussitôt, mon père attelle la carriole et nous voilà partis à Vailly. Mais là, pas de docteur. Il était parti sur une urgence, alors j’ai attendu un bon moment avec mon hameçon… et puis il est arrivé, sans un mot il a attrapé une pince et crac, sans anesthésie, il m’a extrait ça d’un coup sec. Quand même, après, il m’a fait une piqure antitétanique.
« Parfois, la nuit, il fallait aller le chercher pour une urgence et, chez lui, c’était sa femme qui nous recevait, avec souvent la même réponse : « Si vous voulez le trouver, vous n’aurez qu’à aller le chercher ‘Aux six fesses’ ». C’était une maison accueillante tenue par trois dames, donc, le compte est facile !
« Jusqu’aux années cinquante, les femmes accouchaient à la maison, mais progressivement, elles sont allées de plus en plus à l’hôpital de Cosne. Je me rappelle d’une fois où il est venu faire un accouchement aux Bertons. J’étais la seule femme à pouvoir aider mais j’étais toute jeune. Le bébé a fini par venir et il m’a lancé : « Allez, filez donc me chercher quelque chose pour le mettre, ce bébé ! ». Impossible de trouver de berceau, même un panier aurait fait l’affaire… rien ! Finalement, tout ce que j’ai pu trouver, c’était un grand plat ovale et je l’ai tendu au docteur Bucquet qui a déposé le bébé en ajoutant, l’air réjoui : « Il est beau, ce petit, non ? ». Moi, je le trouvais vilain comme tout, mais bon, j’ai ravalé mon compliment et je suis partie l’envelopper dans une serviette pour qu’il ne prenne pas froid ».
Sur cette évocation plaisante, la conversation papillonne un peu et Françoise en vient à évoquer ses souvenirs du « Tacot »…
« Je me souviens que mon mari, qui travaillait à Paris, arrivait à Argent et de là, il prenait le Tacot pour descendre à la gare de Barlieu-Pierrefitte. Moi, j’allais l’attendre avec la brouette ou mon vélo pour rapporter ses bagages. Ça a duré jusque vers 1950, puisque Marie-France qui est de 48 l’a connu et quand Alain est né en 51, il avait été remplacé par le car qui s’arrêtait à Badineau.
Comment était le confort, dans les wagons du Tacot ?
« Surtout, c’était « aéré », les escarbilles rentraient par les fenêtres, il fallait faire attention de ne pas en prendre dans les yeux ! On était assis sur des banquettes en bois à deux places, les dames qui venaient vendre les produits de leur ferme ou de leur jardin avaient leurs gros paniers sur les genoux, de tout, des poules, même. Il y avait tout de même des commodités… dans chaque wagon, il y avait au bout un seau hygiénique et chacun s’installait devant tout le monde pour faire ses besoins ! On peut estimer que c’était du confort avancé ! Au moins, c’était pas bien cher pour que ça soit rentable pour les fermières de venir vendre leurs produits au marché d’Argent.
« Ma mère, Marie Léger avant son mariage, avait été nommée remplaçante du chef de gare de Barlieu, mais en fait, elle était chef de « station », ce qui fait qu’elle était trois jours à un endroit, trois jours à l’autre. Ce qui fait qu’elle chargeait son lit-cage en fer dans le wagon de marchandises et elle s’installait pour dormir dans la station… là où il y avait de la place ! En 1920, c’était encore ma grand-mère qui lui portait ses paniers avec de quoi se nourrir.
Alain, le fils de Françoise, a eu la gentillesse de nous reproduire le document de nomination de Marie Léger en 1919. On y verra que la législation du travail avait encore de gros progrès à faire, à cette époque !
JFL